Rendre la demande de logements solvable dans Paris… la vraie bonne idée

Le 10 février 2020 Expertises

Benjamin Griveaux crée la polémique en proposant que la Ville de Paris co-investisse aux cotés « des classes moyennes » jusqu’à 100 000 €.

Les critiques fusent de toutes parts : processus inflationniste, cadeau "électoral" fait aux classes moyennes, ou à l’inverse spéculation au profit de la Ville de Paris, voire spoliation de l’acquéreur. En tant qu’acteur de l’immobilier et observateur des différents dispositifs existants dans le monde occidental, je fais clairement partie de ceux qui, à l’inverse, trouvent que cette innovation est une des initiatives aujourd’hui nécessaires.

Arrêtons de nous voiler la face, attendre le choc de l’offre, c’est attendre Godot qui viendrait miraculeusement faire baisser les prix. Arrêtons de parler de Ville Inclusive alors qu’elle est devenue exclusive depuis plusieurs décennies !

De nombreux phénomènes sociétaux, économiques et financiers conduisent à une tendance structurellement haussière des prix de l’immobilier dans les zones tendues et singulièrement à Paris qui, dans les faits, font que sur un horizon de temps de plusieurs années, même si les prix peuvent temporairement baisser, ce phénomène de hausse ne pourra être endigué.

Tout d’abord la métropolisation, ce processus de renforcement de la puissance des grandes métropoles par l’accroissement de la population, de la densité des réseaux de communication, de la concentration d’organismes de commandement dans tous les domaines (production, recherche et culture) n’est pas prête de s’arrêter, spécialement dans un pays aussi centralisé que la France. On peut peut-être le regretter mais la réalité est bien qu’elle oriente le développement mondial vers une économie d'archipel où les échanges se font moins entre nations qu'entre métropoles et la région parisienne représente 30 % du PIB national pour 23 % de la population.

Paris est, de fait, parmi les capitales où la densité de la population est la plus élevée avec 21 000 habitants au km2 (à comparer par exemple à Séoul avec 16 000) et il est illusoire d’espérer densifier beaucoup plus en construisant des tours résidentielles. Paris se vit dans le même espace depuis 150 ans, le Grand Paris Express, avec ses 68 gares et ses 200 km de voies ferrées, permettra de créer un espace urbain connecté, désengorgera donc Paris (la densité actuelle sur le Grand Paris n’est que de 1 000 habitants par km2) et sera LA RÉPONSE institutionnelle qui permettra de stopper cette hausse de prix… mais dans 10 ans, sous réserve que les infrastructures et les programmes immobiliers résidentiels soient réalisés et financièrement abordables (paradoxalement le nombre de permis de construire et de mises en chantiers baisse…).

Les facteurs de hausse sont bien là et aucun choc de l’offre ne peut à horizon visible s’opposer aux réalités d’aujourd’hui qu’il faut donc adresser maintenant et pas dans 10 ans. Ce phénomène de hausse n’est pas uniquement lié à la métropolisation mais tout concourt à la hausse.

Citons, l’allongement de la durée de la vie qui fait que non seulement l’héritage se réalise beaucoup plus tard mais également que les "parents" restent beaucoup plus longtemps dans leur bien, créant ainsi un double effet négatif sur l’offre et sur la demande solvable ; l’éclatement des cellules familiales qui génère un besoin supplémentaire de logements ; la mondialisation qui crée un marché du pied-à-terre, spécialement dans les quartiers huppés où les pied-à-terre logeaient auparavant des familles entières, entrainant une gentrification progressive de tout Paris ; enfin, facteur beaucoup plus puissant, la baisse des taux d’intérêt.

La baisse des taux d’intérêt, parfois 1 % à 25 ans, a un double effet inflationniste sur les prix de l’immobilier : d’abord elle diminue le montant à rembourser et facilite une première augmentation des prix, ensuite, comme seul le capital à rembourser devient la contrainte financière (la charge d’intérêt étant quasi-nulle) cela favorise l’allongement de la durée des crédits.
La réalité économique est que, depuis le choc pétrolier de 1973 et singulièrement l’accélération de la mondialisation avec l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, la réponse univoque des pays occidentaux pour en limiter l’impact sur leurs économies a été la création monétaire et une économie de l’endettement. L’excès de création monétaire, largement supérieure à la création de richesse, s’est reporté sur les actifs financiers comme immobiliers d’où la hausse généralisée des prix des actifs !

La croissance reste faible et le restera durablement selon le FMI ; il faut de surcroît financer la transition énergétique ce qui va conduire à une augmentation globale de l’endettement de plusieurs dizaines de pourcent de PIB dans les années à venir. Tout concourt à ce que la BCE maintienne durablement une politique de taux d’intérêt bas… avec les mêmes effets.
Ne pouvant résoudre à un horizon visible le choc de l’offre, il n’y a pas d’autres solutions que d’aider à solvabiliser la demande, en utilisant tous les outils possibles et en l’encadrant pour en limiter les effets de bords, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent.

Ainsi, il est malheureusement clair que dans un univers où la construction de logements supplémentaires dans Paris est contrainte par la rareté du foncier, une politique trop expansive de logements sociaux se traduirait forcément par la sortie de logements privés du parc disponible et donc une inflation, tant des loyers que des prix de vente du parc privé.

De la même manière, une foncière qui achèterait pour 20 Mds € de logements aurait incontestablement un effet bénéfique pour les locataires qui pourraient accéder à ces logements et un effet désastreux pour les autres sous le double effet de l’impact inflationniste sur les prix de vente, initiés par un tel volume d’acquisitions comme par la sortie du parc de logements privés de ce même volume de logements.

Cette démarche renforcerait un "Paris à deux vitesses" : des logements sociaux d’un côté, des ultra-riches de l’autre… et les classes moyennes ? ailleurs !

Alors face à cette situation, il n’y a pas de réponse unique mais un ensemble de démarches possibles auxquelles il faut avoir recours. Les actions pour créer une demande solvable reposent toutes sur une réalité - un environnement de taux bas – et un mécanisme - la séparation de la propriété dans le temps ou dans l’espace - autrement dit une "propriété réduite"… qui est mieux que pas de propriété du tout surtout si cette "propriété réduite" est d’un coût comparable à un loyer (un parc locatif abordable peut et doit aussi être créé sur ces bases).

Le système idéal n’existe pas et chaque dispositif répond à des objectifs et des typologies de situations différentes : recherche de flexibilité, de transmission, de préparation de la retraite, de capacité financière… C’est la richesse de la panoplie qui permettra de résoudre, au moins partiellement, cette problématique qui créera la véritable ville durable du XXIe siècle ; celle qui sera inclusive !

Prenons l’exemple des banques hollandaises, suédoises ou suisses qui prêtent en même temps à la personne et au bien. La personne rembourse sur 20 ans la moitié du crédit (les intérêts étant à sa charge) et l’autre moitié, reste attachée au bien : cela réduit de 40 % la charge de remboursement du prêt qui devient ainsi comparable à un loyer. Pour limiter l’impact inflationniste, l’Etat régule (lors de la mise à disposition du prêt) la quotité de remboursement annuel de l’emprunteur. L’acquéreur, sauf s’il peut et souhaite rembourser la totalité de l’emprunt, conserve toujours une quotité d’endettement sur son bien dont la charge est limitée aux seuls intérêts ; charge qui est bien inférieure à un loyer et il conserve la plus-value lors de la cession du bien.

L’Angleterre pratique la séparation entre foncier et bâti mais dans un système aujourd’hui archaïque et surtout inapproprié au contexte français. Le Bail Réel Solidaire mis en place par le gouvernement actuel repose sur ce principe et permet de réduire également de 40 % le coût. Pour éviter l’effet d’aubaine et l’impact inflationniste, les transactions ne peuvent avoir lieu qu’entres acquéreurs sous conditions de ressources "sociales" ; autrement dit, ne pouvant contrôler le prix de l’actif c’est par le passif que la maîtrise des prix se réalise. Une version pour le marché privé serait évidemment bienvenue ! La séparation des biens dans l’espace peut se faire également entre les parties privatives qui seraient détenues par des personnes privées et les parties communes qui pourraient être détenues par des personnes morales qui les entretiendraient et percevraient un loyer. Mais aussi, comme le propose Benjamin Griveaux, et comme d’autres acteurs publics ou privés dans le monde, sous forme de co-détention d’un appartement.

Les Hospices Civils de Lyon et plus récemment La Française (dans les Hauts-de-France avec son actionnaire le CMNE) ont un système très flexible d’emphytéose qui permet de réduire le prix de 30 % et donc conduit à une charge d’acquisition du logement comparable à un loyer. Le système permet à l’acquéreur de se constituer de façon certaine un capital alors qu’un loyer est "perdu" ; cependant il ne bénéficie pas de la hausse (ou de la baisse) du prix ; il ne pousse donc pas significativement à la hausse des prix.

Dans un autre registre, Singapour offre la possibilité à sa population senior d’apporter leur logement en viager à un fonds de pension qui leur verse une rente, un beau complément de revenu pour les petites pensions !

Beaucoup plus proche de la proposition de Benjamin Griveaux, depuis 1929 la Ville d’Oslo, via une coopérative, a mis en place un système de co-investissement avec les personnes privées. Une fraction importante de la plus-value va à la coopérative ce qui permet de réduire la démarche inflationniste. La Ville de Toronto a la même démarche mais à une échelle beaucoup plus petite et orientée vers le logement social.
Les acteurs publics ne sont pas les seuls, des sociétés privées comme Virgil ou Acqer développent ce concept en France, le fonds d’investissement de l’université (40 Mds $ qui financent ainsi une bonne partie du fonctionnement de l’Université) développe ce concept pour augmenter le logement locatif étudiant avec une participation allant jusqu’à 100 000 $ par appartement… et il y a même des études faites par des cabinets d’audit qui quantifient les impacts du co-investissement dans le secteur du logement ! Bref, ce n'est pas aussi novateur que cela et surtout c'est une approche logique à la taille d’une des 5 villes mondes avec les conséquences que cela implique sur la cherté du logement.

Alors, Benjamin Griveaux, propose un système où la Ville de Paris co-investit sous forme de prêt mezzanine jusqu’à 100 000 € aux classes moyennes sans autre rémunération que le partage de la plus-value sur la vente. C’est un système, sous conditions de plafonds de ressources, qui s’adresse véritablement à cette catégorie d’acquéreurs de plus en plus exclue de la Ville de Paris que ce soit comme locataire ou comme propriétaire.

Le seul partage de la plus-value en fonction des apports respectifs est possible car les taux d’intérêts sont bas et donc le portage même sans rémunération est peu coûteux pour la Ville de Paris et ses contribuables. Il ne s’agit ni d’un don qui serait à la charge de la collectivité, ni d’une spoliation de l’acquéreur, car ce dernier concrètement ne bénéficie pas non plus d’un effet d’aubaine en prenant une plus-value sur un financement qu’il n’aurait pas payé. C’est donc fondamentalement un dispositif sain et équilibré où les parties ont des intérêts équilibrés.

Ce dispositif est-il inflationniste ? Comme tout système qui solvabilise la demande il est potentiellement inflationniste. Mis en place par un acteur public qui gère aussi bien les conditions d’attributions (plafonds de ressources et acceptation des dossiers pour éviter la surenchère ; autrement dit maintenir l’aléa moral pour l’acquéreur comme pour le vendeur pendant la phase d’acquisition), l’impact serait contrôlé et maitrisé. On ne peut nier son impact inflationniste, mais on peut dire qu’il sera marginal compte tenu des garde-fous et qu’en tout cas il permet de rééquilibrer "le jeu entre les plus riches et les moins riches", un objectif louable qui peut être ciblé et maitrisé.

Mais ce dispositif doit bien évidemment s’analyser dans un cadre plus large : la modification des PLU pour augmenter l’offre (surévaluation, changement de destination…), un encadrement très strict (et financièrement dissuasif pour le fraudeur) de l’application de la règlementation des B&B pour faciliter le retour dans le parc locatif privé de logements qui en sont sortis (un complément de revenu oui, un parc d’appartements pour faire du business non) des logements temporaires d’urgence dans les bureaux qui sont en attente de travaux… Il n’y a pas de solution unique mais une démarche et la mesure proposée en fait partie !

Prenons conscience que le niveau très bas des taux d’intérêt autorise des innovations financières et que ces dernières ont pour vocation d’avoir des impacts sociaux forts qui réduisent les inégalités. En l’espèce les classes moyennes, comme les bénéficiaires de logements sociaux, doivent bénéficier de ces impacts. Ces dispositifs doivent être encadrés et sous contrôle de la Ville de Paris, c’est une évidence. Les spécialistes du "mais" doivent proposer des alternatives crédibles plutôt que de vouloir proroger ou étendre exclusivement des systèmes qui ont montré leur efficacité à exclure de la Ville de Paris ses classes moyennes.

Rendre la demande de logements solvable dans Paris... la vraie bonne idée

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